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lundi 2 août 2010

Voir ou ne pas voir

Extrait de "Journal d'une grève de la faim au 
jour le jour dans un village occitan" (lien)

 
 
VOIR OU NE PAS VOIR. MARIE-RENÉE 

Les gens passent, [devant la voiture et le trottoir où se trouve mon affiche et les tracts en pile] certains voient, d'autre non. Ce n'est pas qu'ils soient odieux, c'est juste qu'ils ne voient pas. C'est dans le regard que tout se joue. De même Marie-Renée alors qu'Erdal lui avait pourtant parlé comme à moi de ce que vivaient les kurdes en Turquie et en Irak -un quasi génocide dont Halabja, le point médiatisé ne fut que le haut de l'iceberg- n'a-t-elle pas compris, vu, écouté. Lorsque j'en ai fait mention, elle m'a dit avec cet air légèrement condescendant de la bourgeoise élégante cultivée et sympa qu'elle est : "tout de même, tu exagères!" Nous avions cependant entendu les mêmes histoires, mais j'avais écouté, questionné, elle pas. Erdal n'avait pas insisté ["ça l'intéresse pas"]. Parler de drames passés (et présents, ailleurs, en ce cas) revient à les imposer à l'autre, ici éloigné des scènes de crime; par courtoisie, les victimes se taisent ou lancent des perches qu'il faut saisir, parlant a minima comme pour attendre une question et se taisant aussitôt.  On retrouve le même phénomène lors d'agressions sexuelles ou de viols. Le risque est de se faire blackbouler et humilier deux fois (lien).

De même en 40 certains n'ont-ils pas vu qu'on embarquait les juifs. Et même sur place, qu'on les gazait. Je crois qu'ils pouvaient être sincères comme Marie-Renée vis à vis des kurdes. Presque. Une forme de déni. Car si on voit, il faut réagir... et certains ne le veulent pas, ne le peuvent pas (croient-ils), n'ont pas l'énergie, se sentent trop minimes. Notons que cela peut valoir pour n'importe quelle cause, de la plus petite à la plus effarante et qu'à chaque fois ce sont justement la petitesse ou l'immensité de la tâche qui sera invoquée pour justifier la passivité. "Je ne vais pas me mouiller pour si peu" ou "mais que puis-je faire devant cela, moi seul?"

dimanche 1 août 2010

TOTOPHE, le "social, ça paie bien"

 jour d'une grève de la faim"

Les pro de la "charité"; le social, le meilleur... et le pire. 
Diviser pour régner.. et le monopole sinon gare !

[Il s'agit d'une élue de Mairie attachée au service social, hostile, ici appelée "cette-facture-sera-payée-un-point-c'est-tout, régnant sur les HLM.]
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.. Les causes [de sa violence] ? Et si au fond je lui faisais concurrence? Les fringues pour certains, les remontage de moral le soir pendant que je faisais la fresque?.. quelques articles? Une réminiscence déplaisante soudain: un certain Dr X du secours X qui, après l'article sur Totophe, m'avait giflée dans la rue. L'article ne l'incriminait pas, il relatait simplement dans la veine soft très Midi-Libre, l'aventure de Totophe, un SDF gentil mais alcoolo depuis toujours, quatre ans d'âge mental, un soir où il gelait à pierre fendre; en chemise, complètement bourré, il était venu s'effondrer devant mon portail, seul endroit éclairé sans doute à 10 heures à Anduze par cette nuit d'hiver glacée..
  
... Puis la suite, comique, je le rentre laborieusement, on se casse la figure dans le jardin, renverse une sculpture ou deux, il s'effondre sur le lit dans la pièce de la chaudière et ronfle aussitôt, au chaud et bien couvert.. Et go, mes appels successifs, 10 ? 20 ? je ne sais plus, au terme desquels tout le monde m'envoie bouler, le secours populaire sur répondeur, renvoi à un autre numéro, identiquement sur répondeur, le curé gâteux, le pasteur sur répondeur aussi, un autre pasteur gentil mais sourd comme un pot qui me renvoie à un troisième, absent, le SAMU qui refuse, l'hôpital qui me renvoie au SAMU, la police qui me renvoie à l'hôpital, les urgences qui me répondent qu'il n'y en a aucune, etc... Seuls, les gendarmes sont finalement venus, mais pas tout de suite -il avait fallu passer par Nîmes où je m'étais faite engueuler-... pas trop contents pour l'un d'être tiré du lit à 11 h par ce temps. "S'il a un malaise, vous êtes responsable." Soit, mais dehors, il serait mort. La loi est bizarre: si je le laisse, il meurt et bien sûr c'est de la non assistance à personne en danger, mais si je le rentre, alors plus personne n'en veut car "il ne cause plus de trouble à l'ordre public", mais j'en suis responsable au cas où il lui arrive un truc.. alors que je ne suis pas médecin, que faire? S'en foutre...
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J'ai donc gardé Totophe un an, pas de problème certes, sa passion étant de ramasser les feuilles une à une -il les guettait du fond du jardin, assis sur sa chaise, me faisant part de ses prises lorsqu'elles valaient le coup, ajoutant parfois "qu'est-ce que tu ferais sans moi, hein?" à quoi je répondais invariablement "ça c'est vrai, tu es bien brave", ça ne me perturbait pas, c'était comme un disque... et le jardin n'avait jamais été aussi nickel. Il m'a manqué lorsqu'il fut enfin admis dans un HP adapté... dont il s'est échappé plusieurs fois pour revenir chez moi, il aimait mieux être libre.
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Mais voilà, l'article de Thierry Dubourg avait eu un succès mahousse et tout le monde venait apporter des objets divers à la galerie, c'était le must, on venait voir, non les œuvres de Danielle mais Totophe comme au zoo un animal rare avec des croûtes, des couvertures -nul besoin à présent mais bon- télé, neuve! frigo, tapis, vêtements, Anduze et ses environs sont riches et les gens généreux... En somme, par culpabilité d'avoir failli le laisser périr, les gens rivalisaient de cadeaux parfois inappropriés et dans l'appentis de la chaudière, clair, ensoleillé, avec son entrée séparée sur le jardin aux bambous, il était logé plus confortablement que moi.. et m'invitait parfois à venir voir des matchs, je refusais et il était déçu. Ça s'était donc "arrangé".. sauf que dans le village pourtant civilisé, j'avais croisé quelques jours après un quidam [le responsable du secours X...] qui m'avait mis une baffe sans prévenir -"salope !"-. 
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J'ai compris ensuite [c'est le le responsable d'Emaüs qui m'avait expliqué] "vous lui avez "volé" un pauvre, vous l'avez mis en cause indirectement et il ne se remettra pas, vous avez pointé une défaillance chez un parfait, il pense avoir raté sa carrière etc... On a souvent le cas." 
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Fais-je de même ici? Est-ce que je "vole" des pauvres à qui de droit? Le social est affaire ambiguë: le meilleur et surtout le pire. Qui est mieux, d'une femme d'un notable par ailleurs impliqué dans quelques affaires pas très claires -ou plutôt, si, assez claires*- ou de celle-ci, haute en couleur, chef de droit divin des HLM droite dans ses bottes? Si j'étais dans la misère, je crois que je préfèrerais la bourgeoise BCBG à une ex consœur de pauvreté qui m'engueule et "va" me chercher en gueulant comme si j'étais un chien etc... [La dame avait "sommé" une de ses "clientes" de "venir" au pied, tel Louis XIV son valet de pied.]
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Conclusion : mieux vaut ne jamais avoir affaire à ces services et à ces gens-là quels qu'ils soient. Je dois sentir le chien: Vôtan inquiet, exhalant une odeur assez pénible, malgré la chaleur, se colle à moi dès que j'arrive. Je lui manque. Du coup, dans la rue, les cabots me reniflent avec intérêt. De fait, "cette-facture-sera-payée" a affecté tout le temps que je lui parlais de partir dans les pommes, s'éventant vigoureusement, l'attitude de certains jeunes de banlieue à l'instar de Christine H. [une ancienne élève] autrefois - au fait, elle est devenue, à la suite de son père, maire de V... je crains le pire, c'était une des plus perverses de toutes que j'aie jamais eus.- Un peu d'excès sans doute ici mais sur une base réelle. Il faudrait que je tonde Vôtan... Quand on n'a rien à dire des gens, on dit qu'ils puent. Ou qu'ils sont fous. L'olfaction est le plus labile de nos sens, et la santé mentale est difficile à apprécier, c'est facile. Là, j'ai eu les deux. C'est ce que font les racistes. Et aussi les racisés pour se venger. -Mais dans mon cas c'est peut-être vrai.- Tant pis.
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* Comme chez Zola, ce sont les épouses des patrons qui exploitent les ouvriers -ou ici les administrés, qui vont ensuite "aider" ceux-là mêmes qu'ils ont réduits à la misère et la mendicité... lesquels seront obligés de les remercier à plat ventre. On leur vole le pain, on leur lance des miettes et ils sont obligés de faire la révérence. Sans compter les rivalités instaurées par un système de répartition de la "manne" assez souple c'est à dire à la tête du client.. et les querelles infinies de ceux que l'on a dressés les uns contre les autres, jaloux, qui au lieu de s'en prendre aux scénaristes de la pièce [relayés par les "services sociaux spécifiques"] se foutent sur la gueule entre eux.
 
LE SOCIAL, CA PAIE BIEN

Soit. J'ai donc encore dû voler des pauvres à qui de droit. Qu'est-ce qu'on devient si tout le monde est solidaire, les pro du social, profession pas inintéressante parfois et assez valorisée n'ont qu'à aller se rhabiller. La Rochefoucauld, le salaud, n'a pas tort. Toutes nos motivations sont égoïsme. Ça vaut pour moi évidemment. Et je le dis ici clairement, Totophe m'a beaucoup apporté, quelques ennuis évidemment -dont la baffe- mais dans l'ensemble, la "charité" paie bien ; le nombre de gens qui me disaient "vous êtes formidable" à qui je répondais invariablement "pas du tout, il était devant ma porte, je ne pouvais pas ne pas le voir, c'est juste le hasard..." et qui ajoutaient parfois "et en plus vous êtes modeste" on n'en sort pas. Une bonne affaire, "Le petit garçon derrière un taxi" a flambé, 70% à cause du talent de Suzanne, 30% de l'affaire Totophe, et les feuilles, corvée quotidienne n'avaient qu'à bien se tenir.
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Cet hiver-là, sa présence silencieuse derrière la galerie, dans sa querencia où il regardait le foot à la télé me plaisait -je me sentais moins seule-... Moins les réveils à six heures -car c'était un matinal- "t'as pas un café dis ?" mais cela aussi n'était pas si mal car je n'avais pas de réveil. Il le buvait avec moi, je me mettais au travail et lui s'en retournait guetter les feuilles, inquiet d'en avoir laissé passer pendant le petit déjeuner car c'était un consciencieux. Par une aberration administrative étonnante, il pouvait voter, m'avait demandé qui j'avais choisi et pour me faire plaisir, avait bourré l'enveloppe de bulletins de Ségolène ["tant que ça pouvait rentrer, ça coûte pas plus cher"]. Il me manque un peu.
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Robin, lui, veut attaquer en justice. Cette grève de la faim lui fout la trouille, il sait ma détermination et s'en désole. Ça le rend presqu'agressif.. (suite, voir début du blog barre latérale)

Extrait. Diviser pour régner. Les pauvres détestent les plus pauvres, ou l'inverse.









[Au cours d'une grève de la faim devant la mairie de mon village -vidéo-, les réactions des gens au jour le jour. Extraits de ce journal.]

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Une expérience tout à l'heure, troublante [elle sera unique] vient corroborer cette réflexion. Une femme est venue m'insulter, tant de haine, c'est presque flatteur, d'autant que je ne la connais pas. En ces termes, adressés aux gendarmes pour leur intimer l'ordre de m'embarquer, ce qui n'était tout de même pas leur mission (!)  "Elle a plein de maisons, elle a qu'à les vendre ou vendre sa voiture"..[elle n'a apparemment pas le sens de la valeur des choses].. "elle en a trois (?) et trois maisons... c'est à cause des gens comme elle qu'on ne peut plus.." [je n'ai pas entendu clairement la suite car l'un d'eux l'a admonestée] taler ses paiements" peut-être... Si bien que venus pour m'intimer l'ordre de déplacer ma voiture, les gendarmes se sont vus contraints de me défendre. La malheureuse venait apparemment de la Mairie. 

Les gendarmes, à deux comme d'habitude, un jeunot la jouant dominant, limite menaçant, j'ai même cru qu'il me disait de ne plus être sur la place, là ça a flambé, mon bled tout de même, si pourri soit-il, j'y tiens ! il paraît que j'ai mal compris, soit -je crains le ressac tout à l'heure, si ça se trouve je vais m'évanouir-... et puis un autre plus réfléchi, gentil, un jeu peut-être, peut-être pas. Ils veulent que je me "pousse" car ils attendent du beau longe (je laisse) à la Mairie et je fais désordre. Comme ce sont souvent des comédiens hors pair, on le leur apprend  (?) on ne peut pas savoir.

Intéressant, de plus en plus. Certains prolos éprouvent une haine contre les bourgeois légitime mais associée par nécessité à une servilité proportionnelle imposée vis à vis des mêmes ou assimilés, elle les fonde à tirer sur l'ambulance et non sur le chauffard. [C'est toute la différence entre l'engagement et la simple défense de son pré carré, les deux se confondant souvent en apparence chez les exploités*.] Je n'ai pas de pouvoir mais je suis "bourgeoise" suppose-t-elle ou lui laisse-t-on supposer [et c'est le cas si on veut] donc toute l'humiliation, les mercuriales qu'elle a subies lorsqu'elle s'est vue par exemple opposer un refus d'étalement de ses factures elle l'exprime contre moi qui en suis croit-elle, la cause (?) Devant une "bourgeoise" mais sans pouvoir... elle agit comme le loup qui attaque le plus faible d'une troupe de buffles inexpugnables qui l'ont blessé, le déchirant à plaisir pour se venger... des autres.. à leur demande sans doute.
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Mais il arrive [et là c'est plus grave] que les pauvres soient briefés contre de plus pauvres qu'eux, les roms par exemple font un gibier de choix. Si on refuse en haut lieu d'étaler leur facture d'eau [elles ont augmenté de manière drastique et peu après, un procès intenté par une femme donnera tort à la Mairie qui sera contrainte de rembourser les sommes indues prélevées] c'est "en raison de trop nombreux impayés" leur dit-on sournoisement. Et on a alors le "Célafotorom", pire que "Célafotalarivé" qui ne concerne qu'un individu/e.

On les conduit à se battre pour leur esclavage comme s'il s'agissait de leur liberté en les dressant les uns contre les autres. Il est intéressant d'être à la fois riche et pauvre -très pauvre-, on voit les choses de deux côtés. Du coup, je suis à l'ombre (j'ai dû déplacer ma voiture) et ça c'est bien. J'ai mis les panneaux devant la Mairie, les gens lisent bien mieux que sur la voiture. Plusieurs ont signé du reste depuis le happening [les gendrames -je laisse la coquille- et le clash de la dame] y compris le vieil intello bien mis un peu arrogant qui avait lu et eu un geste de la main presque méprisant. Revirement à 180°, il m'a proposé un thé, j'ai refusé. Depuis il passe devant moi et me sourit à chaque fois, ça devient excessif dans l'autre sens, il n'a pas de mesure, je souris aussi bon... j'ai même l'impression qu'il est ébloui. Antigone je suis devenue, ça fait style il faut croire. Les gens sont bizarres au moins autant que moi, ça me rassure au fond, méchamment.

Cette dame, Mme Barrier saura qui elle est, elle aussi est femme de mineur et elle aussi a peu pour vivre. Quoiqu'au fond elle sait certainement que je ne me bats pas pour l'argent, c'est juste une pose au bout de son angoisse.

* L'exemple-type est celui de cette riveraine venue se plaindre [je deviens un peu Madame-bords-de-Cèze] parce qu'une voisine l'empêchait de passer par un chemin dont elle avait la jouissance, seul accès pour son jardin [la voisine arguait qu'il était voyeur].. que je défendis vigoureusement et qui, une fois qu'elle eût gain de cause, fit apposer un énorme portail afin que nul n'y aille plus!

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