Extraits du "Journal au jour le jour d'une grève de
la faim dans un village occitan" (lien)
ENTERREMENT, UN CURE UN PEU GÂTEUX
la faim dans un village occitan" (lien)
ENTERREMENT, UN CURE UN PEU GÂTEUX
A l'église, seul endroit frais où je suis allée dans l'après midi, (la
chaleur! et puis je m'y concentre bien, il ne me manque qu'un café bien
noir, il faudrait le suggérer au curé, ça lui ferait du blé pour ses
pauvres) il y a un cahier avec des demandes écrites adressées à la
Vierge... C'est touchant, des pages et des pages mal écrites avec toujours les
mêmes requêtes, faites que mon mari guérisse, que ma sœur aille mieux,
que les analyses de mon gendre soient normales, que maman arrive à
convertir notre mécréant de père, que ma femme revienne (cela revient
toujours beaucoup dans tous les termes) etc... Ou des évocations de
morts avec prière d'intervenir auprès de Jésus pour leur épargner des
années de purgatoire... C'est si triste et litanique
qu'on n'a pas même envie de rire. Tous ces gens malheureux...
tant de souffrances, sans doute énormes... cachées sous les apparences
un peu arrogantes typiques du village, on découvre leur âme.
Il y avait un enterrement, l'église était aux trois-quarts vide, ça devait être un homme très âgé, isolé, abandonné de tous comme souvent... Pendant son oraison, le curé baissait les yeux pour lire à chaque fois le nom du défunt que visiblement il avait du mal à retenir. Il pourrait tout de même faire un effort de mémoire comme n'importe quel prof, pour un seul client. Triste pour le peu de famille qui était là. "Nous accompagnons aujourd'hui notre ami ...euh... Marcel Du... Dibois... en cette journée bla bla bla..."
Les rabbins sont plus sérieux : celui de l'enterrement de Mamita savait tout sur elle... dit à mi-mot, -gênant, on aurait dit un psy- lorsqu'il m'a regardée pour que je m'avance vers le corps empaqueté de blanc brrr... jamais on ne m'avait fait ce coup. "Une sainte" avait-il martelé avec conviction, louchant vers moi.. raté, même Robin avait souri tant le terme lui allait comme des lunettes à un canard, il en faisait un peu trop le rabbi, mais on avait tout de même payé une bougie "éternelle" -qui devait brûler en Israël- quelque chose comme 1500 F et il fallait nous en mettre pour notre argent. Elle me manque; ce sont les gens les plus emmerdants qui vous manquent le plus, on ne sait plus que faire lorsqu'ils disparaissent, le gilet pare-balles que vous vous étiez tricoté vous semble soudain très lourd et pas moyen de l'enlever tout de suite. On n'a jamais vérifié si elle y est bien -la bougie, au mur des lamentations- il le faudra après cette histoire à la con, sinon service après vente comme chez Darty, 1500 balles tout de même.
SOLITUDES EXTRÊMES
Ici c'est la routine, pas de
chichis, et hop au trou le vieux... euh... Marcel... euh... Dibois.
Triste. Mais à Paris c'est pire : dix ou quinze personnes par jour meurent sans qu'on ne sache rien
sur elles, parfois même pas leur nom avec certitude et ce ne sont pas
des SDF le plus souvent. Une assoc s'est donnée pour tâche de se charger
de leurs funérailles afin d'éviter que le cercueil ne soit conduit au
cimetière comme un encombrant. Quelqu'un fait un petit discours sur la
tombe avant la fermeture définitive. Émouvant. "Madeline ou Milène ou
Miléna, excusez-moi si je me trompe, vous avez vécu vingt ans au 2 rue
de la Tour Maubourg, nous ne savons sur vous que peu de choses, que vous
aimiez les croissants au chocolat, les marguerites et les romans
d'Agatha Christie, vous veniez peut-être de Hongrie comme votre accent
semblait l'indiquer, pardon de vous avoir envoyé un prêtre catholique si
vous étiez d'une autre religion etc..." Des gens perdus, cachés, au
passé inconnu, ayant peut-être fui quelque drame, avalés, disparus sans
laisser d'autres traces en vingt ans de vie que leur goût pour le
chocolat et les romans policiers, qui saluaient cependant leurs voisins,
leur concierge ou les commerçants. Poignant. Ça s'est révélé pendant la
canicule mais ça a toujours été.